Vivants grâce à Dieu, un livre du père François Odinet
« Lorsque des personnes très pauvres s’identifient à Bartimée parce qu’elles méditent ensemble l’Écriture sainte, qu’y a-t-il dans cette identification? Qu’y a-t-il dans leur écoute? Qu’entendent-elles, et comment l’entendent-elles? Que voient-elles dans cette rencontre entre Jésus et un aveugle qui recouvre la vue? [En d’autres termes], comment les personnes très pauvres écoutent-elles la parole de Dieu? »
D’une écriture limpide et d’une approche aussi sensible que rigoureuse, cet essai remarquable de François Odinet, jeune prêtre du diocèse du Havre, montre avec brio comment plusieurs personnes, et plus particulièrement des gens devant faire face à l’échec ou à la détresse, trouvent dans la méditation collective des textes bibliques une incomparable source de redressement et de vie transfigurée.
La démarche est plus singulière qu’il n’y paraît à première vue. Sa pertinence devient plus évidente quand l’on prend conscience que les interprétations des textes bibliques nous proviennent toujours de sources relativement « privilégiées » : autorités ecclésiales, exégètes, théologiens, auteurs spirituels, etc. Bref, même si, suivant Enzo Bianchi qui signe la préface, « notre foi tient pour essentiel le fait que l’Évangile est une bonne nouvelle pour les pauvres, annoncée par des moyens pauvres », notre rapport au texte biblique est finalement très peu inspiré par les regards et les réactions des plus démunis.
Le fait tient certainement en partie au peu de crédibilité que l’on donne aux interprétations spontanées et peu informées, dans un domaine qui fut dominé, pendant de longs siècles, par la parole « experte » des clercs. Et si les pauvres avaient une autorité naturelle en matière d’herméneutique de la parole de Dieu ? Et si leur soif de salut leur donnait une sensibilité accrue et irréductible pour entendre des échos inouïs de la Bonne Nouvelle ?
Odinet explore ces pistes en rendant compte de ses recherches, alimentées principalement par l’observation et l’écoute de ce qui se déroule dans la Famille Bartimée, un groupe fraternel rassemblant des personnes en situation de précarité. La forme de l’ouvrage reste près de celle du mémoire de maîtrise d’origine. Cette option éditoriale peut étonner, car presque toujours, il convient de transformer les structures un peu sèches de l’exercice universitaire en un essai plus agréable à la lecture. Mais dans le cas présent, il s’agissait avant tout de préserver la place centrale occupée par la parole des gens pauvres, ce que le passage du mémoire à l’essai aurait menacé.
Par-delà un respect nouveau pour les fruits d’une méditation collective de la Parole par les personnes pauvres, la lecture de Vivants grâce à Dieu suscite une confiance renouvelée en nos propres forces vives en matière d’herméneutique… pour autant que nous soyons ouverts à nous approprier la Parole dans le cadre d’une expérience partagée. Car le sensus fidei, le « flair de la foi », est le véritable fondement de l’autorité de toute interprétation biblique, et ne se manifeste que là où « deux ou trois sont réunis en [son] nom ».
Date de parution : 26-03-2018