Saint MARTIN
SULPICE SEVERE, Vie de Saint Martin, Introduction, texte et traduction par Jacques Fontaine, Sources Chrétiennes n°133, Paris, Cerf, 1967, p. 257-259.
La charité de St Martin
3, 1. C’est ainsi qu’un jour où il n’avait sur lui que ses armes et un simple manteau de soldat, au milieu d’un hiver qui sévissait plus rigoureusement que de coutume, à tel point que bien des gens succombaient à la violence du gel, il rencontre à la porte de la cité d’Amiens un pauvre nu : ce misérable avait beau supplier les passants d’avoir pitié de sa misère, ils passaient tous leur chemin. L’homme rempli de Dieu comprit donc que ce pauvre lui était réservé, puisque les autres ne lui accor¬daient aucune pitié.
3, 2. Mais que faire ? Il n’avait rien, que la chlamyde dont il était habillé : il avait en effet déjà sacrifié tout le reste pour une bonne oeuvre semblable. Aussi, saisissant l’arme qu’il portait à la ceinture, il partage sa chlamyde en deux, en donne un morceau au pauvre et se rhabille avec le reste. Sur ces entrefaites, quelques uns des assistants se mirent à rire, car on lui trouvait piètre allure avec son habit mutilé. Mais beaucoup, qui raisonnaient plus sainement, regrettèrent très profondément de n’avoir rien fait de tel, alors que justement, plus riches que lui, ils auraient pu habiller le pauvre sans se réduire eux mêmes à la nudité.
3, 3. Donc, la nuit suivante, quand il se fut abandonné au sommeil, il vit le Christ vêtu de la moitié de la chlamyde dont il avait couvert le pauvre. Il est invité à considérer très attentivement, le Seigneur, et à reconnaître le vêtement qu’il avait donné. Puis il entend Jésus dire d’une voix éclatante à la foule des anges qui se tiennent autour d’eux : « Martin, qui n’est encore que catéchumène, m’a couvert de ce vêtement ».
3, 4. En vérité, le Seigneur se souvenait de ses paroles, lui qui avait proclamé jadis : « Chaque fois que vous avez fait quelque chose pour l’un de ces tout-¬petits, c’est pour moi que vous l’avez fait », quand il déclara avoir été vêtu en la personne de ce pauvre. Et pour confirmer son témoignage en faveur d’une si bonne oeuvre, il daigna se faire voir dans le même habit que le pauvre avait reçu.
3, 5. Cette vision n’exalta pas un orgueil tout humain chez notre bienheureux, mais il reconnut dans son oeuvre la bonté de Dieu, et comme il avait dix huit ans, il s’empressa de se faire baptiser. Pourtant, il ne renonça pas immédiate¬ment à la carrière des armes, s’étant finalement laissé vaincre par les prières de son tribun, à qui l’attachaient des liens de camaraderie et d’amitié : c’est qu’en effet, à l’expiration de son tribunat, celui ci promettait de renoncer au monde.
3, 6. Tenu en suspens par cette attente pendant deux années environ, après avoir reçu le baptême, Martin continua de servir dans l’armée, mais de manière purement nominale.