Violences sociales : une réflexion de la Mission ouvrière
« Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups… »
Matthieu 10,16
La violence marque l’histoire humaine.
Elle est jalonnée de crimes et de génocides depuis la nuit des temps. Les grands mythes de l’humanité : Caïn et Abel, Seth et Osiris etc., témoignent de la permanence de la violence dans l’histoire.
Le Christ, en inaugurant une ère nouvelle, ne vient pas la supprimer mais, comme le signifie le baptême, il vient assurer à ceux et celles qui écoutent son message, l’aide de son Esprit pour mener le combat contre la violence inscrite dès l’origine du monde. Le Christ nous accompagne au milieu des violences de notre humanité. Dieu « choisit ce qui est faible pour confondre le fort » (1 Corinthiens 1,28) afin que nous puissions, avec la force de son Esprit, construire ce monde de justice et de paix qui nous est promis.
La violence est d’abord institutionnelle ….
« La violence institutionnelle est celle qui légalise et qui perpétue les dominations, les exploitations et les oppressions, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages bien huilés et silencieux. » disait Helder Camara.
Les enfants la rencontrent à l'école, entre eux, sous forme de moqueries, d’insultes, de coups et de harcèlement. Elle est le fruit des préjugés filles-garçons, des réflexions d'adultes qui rabaissent les enfants ou critiquent leur famille. Leur environnement est pétri de la violence des images véhiculées par les médias, les réseaux sociaux et les jeux vidéo mais aussi des injustices et des inégalités face à l’argent, à l’emploi, à la formation, au logement …
Dans les quartiers populaires, le vivre ensemble est très souvent mis à mal par les incivilités, les trafics, le recul des services publics, la fragilité des familles où les enfants sont écartelés parfois traumatisés face à des parents qui se déchirent et à des décisions administratives quelque fois destructrices (enfants retirés, enfants étrangers soumis à une obligation de quitter le territoire (OQTF) …)
Dans le travail, pénibilités et précarités des contrats, horaires décalés et journées fractionnées, temps de transports et chantage à l’emploi, non respect du code du travail et salaires aléatoires sont autant de situations de violence.
Les disparités salariales, la distorsion entre le monde réel des travailleurs et le monde artificiel des actionnaires, l’écart criant entre nos pays et les pays émergents, le profit des grandes sociétés, l’absence de réglementation internationale des droits du travail sont autant de conséquences d’une économie qui n’a pour seul maitre que le profit financier.
C’est au nom d’un taux de profit maximum que des entreprises se délocalisent ou disparaissent. Des familles entières sont ainsi jetées dans la précarité voire la misère. Des régions complètes sont de ce fait désertifiées.
Dans les EHPAD comme dans les urgences ou les services hospitaliers, soignants et soignés sont les victimes de la seule gestion comptable. La violence des priorités budgétaires met à mal l’ensemble des services publics : de l’éducation aux transports, de la culture à l’aménagement des territoires…
C’est au nom du profit, ce maître toujours plus exigeant, que sont pillées les ressources de la terre. Pour faciliter ce pillage, des peuples sont anéantis et la planète elle-même, de plus en plus stérilisée, est menacée de destruction. Produire toujours plus au moindre coût pour faire consommer et jeter conduit au non respect des personnes comme de l’environnement. « La culture du déchet, dit le pape François, affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures » (Laudato Si’ n°22)
La société de consommation et de gaspillage se développe au détriment du respect de soi, de son propre corps, de son propre désir, Elle favorise l’exploitation et la domination de la femme par l’homme, de celui qui n’a que sa force de travail par le financier, des pays pauvres par les pays dominants.
La course aux matières premières entraine corruptions, appauvrissements et guerres. Elle jette sur les routes mortelles de l’exil de populations entières qui, pour les plus chanceux, échouent sans droits aux portes de nos villes et qui permettent à des employeurs sans scrupules d’accroitre leurs profits.
Face à cette violence institutionnelle, la « violence révolutionnaire » …
« Cette violence, dit Helder Camara, naît de la volonté d’abolir la violence institutionnelle »
Face aux injustices, face au mépris, face aux dominations et aux exploitations, des femmes et des hommes se révoltent.
C’est ce travailleur immigré qui s’en prend physiquement à son chef raciste. Ce sont ces « Gilets Jaunes » qui bloquent des raffineries, des ronds-points ou l’accès à des grandes surfaces. Ce sont ces travailleurs, avec ou sans organisations syndicales, qui séquestrent un directeur, qui bloquent leur usine empêchant quiconque de travailler.
Ce sont ces travailleurs avec leurs organisations qui, pour sauver le service public et garantir leur avenir et celui de leurs enfants, font grève et bloquent l’économie d’un pays tout entier aggravant temporairement les conditions de travail et de vie de nombreux autres travailleurs.
Ce sont ces travailleurs qui, pour se faire entendre et respecter, acceptent des privations pour eux-mêmes et pour leur famille, en osant la grève.
Ce sont aussi ces manifestants qui sont contraints d’affronter des « forces de l’ordre » parfois instrumentalisées pour casser ou dénaturer un conflit.
Ce sont aussi toutes ces personnes qui souffrent de violences institutionnelles : le chômage, la disparition des services publics, le mauvais logement, les revenus insuffisants, les soins inaccessibles, etc. … et qui finissent par faire leurs les propos racistes et xénophobes de populistes qui préfèrent désigner les immigrés ou les pauvres comme boucs émissaires plutôt que de s’attaquer aux véritables causes des souffrances.
Face aux injustices et exploitations de toutes sortes, certains, organisés ou non, optent pour la violence et la destruction pour se faire entendre.
Au plan international, des nations entières se révoltent dans l’espoir d’un monde nouveau et sont abusées par des leaders qui les écrasent ou les trahissent sous une autre oppression…
Dans l’Eglise même, des hommes et des femmes ont été marqués à vie par la trahison de quelques uns qui abusaient de leur autorité. Ils revendiquent d’être écoutés. Ils osent briser le silence et dénoncer l’hypocrisie d’une Eglise moralisant
Face à la violence révolutionnaire, la « violence répressive »
« La violence répressive, dit Helder Camara, a pour objet d’étouffer la violence révolutionnaire en se faisant l’auxiliaire et la complice de la violence institutionnelle, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde en feignant d’oublier la première qui la fait naître et la troisième qui la tue. »
Il y a, en effet, quotidiennement, des femmes et des hommes qui pour avoir osé faire valoir leurs droits ou leur dignité, comme celles de leurs proches ou de leurs compagnons de travail, se voient réprimés, marginalisés, licenciés quand ils ne sont pas emprisonnés ou assassinés …
Les pouvoirs en place au service des puissances de l’argent, n’hésitent pas à mentir aux populations, à marginaliser ou ignorer leurs représentants, leurs associations et syndicats. Des populations entières sont maintenues en situation de « sous-citoyenneté » : le droit de vote par exemple, leur est interdit, les obstacles administratifs sont multipliés pour leur barrer l’accès aux droits fondamentaux et les contraindre à accepter des conditions de travail et de vie de plus en plus proches de l’esclavage…
La justice et les forces de l’ordre qui devraient garantir d’une façon républicaine la paix, l’égalité et le droit, sont parfois instrumentalisées et mises au service des défenseurs du capital pour réprimer et faire taire toutes velléités revendicatives …
L’institution Eglise, elle-même, s’est parfois faite la complice de « pédocriminels » en ignorant ou en faisant taire le cri des victimes…
Lorsque des peuples se dressent, la répression se déclenche. On l’a vu dans un passé pas si lointain, avec la Hongrie ou la Tchécoslovaquie et aujourd’hui avec Hong Kong, l’Algérie, la Syrie, le Brésil, la Guinée … et tant d’autres…
La Paix du Christ
Jésus a dénoncé les religieux et les riches qui faisaient peser leurs lois sur le peuple et spécialement sur les plus faibles. Il invitait a prendre le chemin de la vérité, de la justice et de la fraternité tout en refusant radicalement tout recours à la force même au moment de son arrestation et de sa mort.
Parce que son discours et ses pratiques dérangeaient les pouvoirs en place, il se savait menacé. C’est donc avec raison que le Christ nous rappelle que sa vie, c’est lui qui la donne : on ne la lui prend pas, il la donne ! Il la donne dans la plus misérable des morts pour nous ouvrir le chemin d’une humanité nouvelle qu’il nous appartient de bâtir sur des bases de justice, de vérité et de liberté, dans un climat de fraternité. Donner sa vie en acceptant d’être martyrisé, assassiné, est de la plus grande violence.
Mais ce faisant, Jésus ouvre la voie « à la multitude » en lui donnant la garantie de la force de son Esprit. Le sacrement de baptême nous rappelle que la vie chrétienne est un combat, à la suite du Christ, mais avec la garantie de son assistance. « Tant que ne s’éliminent pas l’exclusion et la disparité sociales, dans la société et entre les peuples, il sera impossible d’éradiquer la violence » nous rappelle le pape François (La joie de l’Evangile n°59) Là est donc notre mission et notre responsabilité de baptisés même si, pour cela, il nous faut « communier à la passion du Christ », à la violence du don de sa vie.
N’est-ce pas déjà cela que nous entendons dans les révisions de vie d’ACO lorsqu’elles nous parlent de « libérer la parole, d’interpeller, de dialoguer, de s’engager, de se sentir acteurs, d’agir ensemble, de prendre la parole » ?
N’est-ce pas ce qu’exprime la JOC lorsqu’elle permet à des jeunes de « mettre des mots sur ces violences vécues, de s’en indigner en ayant un regard critique et en agissant collectivement pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs copains » ?
N’est-ce pas ce que nous dit l’ACE lorsqu’elle constate « les énormes ressources de vie que portent les enfants qui foisonnent de rêves d’un monde meilleur, de souhaits et d’idées capables de s’opposer à la violence » ?
« Le Christ n’est pas seulement celui en qui nous croyons, rappelle François, il est aussi celui auquel nous nous unissons pour pouvoir croire (La lumière de la foi n°18)… Oui la foi est un bien commun qui nous aide aussi à édifier nos sociétés afin que nous marchions vers un avenir plein d’espérance (id. n° 51) »
Secrétariat national de la Mission ouvrière
Janvier 2020
Voir en ligne : Site internet de la Mission Ouvrière
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