Il pleut à Lourdes
Jean RODHAIN, « Il pleut à Lourdes », Messages du Secours Catholique, n° 134, octobre 1963, p. 4.
Il pleut à Lourdes
Il pleut à Lourdes. Il pleut même beaucoup à Lourdes.
Et aujourd’hui il a tellement plu : ce n'est partout que ruissellement
Ce soir les averses ont remplacé les processions.
Elles cessent enfin de tomber à l'heure où, sans aucun flambeau,
Chaque pèlerin retourne dans la nuit.
Voici au bout de la rue terminée, le dernier magasin.
Après les ritournelles du dernier hôtel, voici enfin le chemin.
Il monte vers la Cité.
Voici le sentier où tout se tait.
Voici la Cité du silence et de la Paix.
Ici, plus de trottoirs ruisselants, mais de l'herbe avec des perles d'eau.
La pluie a garni chaque branche de cristaux.
Et ce ne sont que lustres sur chaque arbrisseau.
Il n'y a plus de pluie pour tomber d'en haut.
Mais, à leur manière, toutes ces eaux remontent vers les cieux.
Chaque motte de terre fume comme un encensoir.
Tout n'est que rosée.
Et ce ne sont que buées.
Qu'un éclat de lune vient illuminer.
Ce soir enfin, sans les bruits de la pluie.
Toute cette journée peuplée par ce tambourin sur la vitre.
Ce grésillement sur les tuiles.
Ces trilles de la gouttière dans le bassin tombant.
Ce grelot du goutte à goutte incessant sur le fer blanc.
Et maintenant plus de pluie : un certain silence.
Loin, très loin, un chien qui appelle trois fois.
Plus près la clochette de l'agneau dans sa bergerie, parfois,
Et maintenant plus rien.
Plus rien, sauf un je ne sais quoi d'imperceptible.
Ce n'est pas une psalmodie.
Ce n'est pas une litanie.
C'est à peine un murmure, et il vient de là-haut.
Ca s'arrête tout à coup.
Et ça reprend comme une mélopée dans la nuit.
Allons-y.
Cela venait bien de la bergerie.
Mais de cette Bergerie copiée de Bartrès.
De cette Bergerie qui n'est pas faite pour les agneaux…
La porte est ouverte.
Des ombres à genoux.
Ces ombres bien tassées de pèlerins espagnols.
Ils ont roulé tout le jour de la gare à la Grotte,
Et de la Grotte à la Cité, sous la pluie.
Odeur de chien mouillé.
Et entre ce bloc des ombres et l'autel,
Un vieux curé tout penché.
Il leur parle de leurs péchés, et de la Vierge
Et du ciel, et de l'enfer.
Et de rien d'autre.
C'est une mélopée à voix basse.
Avec des silences.
Je comprends mal son espagnol et ses phrases longues.
Mais il y a un rythme, il y a une musique,
Il y a un accent dans cette voix monocorde et rauque :
Une éloquence de contrebasse.
J'apprends que cette contrebasse,
Ce n'est pas de l'espagnol, mais un dialecte d'Andalousie,
Une sorte de patois rude.
Du patois dans la brume.
Du patois versé dans des cœurs simples.
Du patois d'un prêtre pauvre.
Du patois ponctué par ce ruisselet qui finira, à deux pas
Dans ce Gave de Lourdes...
Cela devait être comme ça quand Bernadette s'en allait
récitant, en patois, ses Ave,
dans la brume du petit matin
après la pluie de la nuit.
Car il pleut à Lourdes.
Sidoine
Cité Secours Saint-Pierre - 17 Septembre 1963.